30.9.10

Jean-Pierre Payot, L'inde retient son souffle

Auteur de "La guerre des ruines", publié aux éditions Choiseul, Jean-Pierre Payot nous offre ici quelques éclairages sur les liens entre Archéologie et Géopolitique.

L’Inde retient son souffle

La Cour suprême indienne doit rendre aujourd’hui son verdict sur l’affaire du temple d’Ayodhya. La décision, quelle qu’elle soit, risque de provoquer de graves émeutes dans cette région de l’Uttar Pradesh où est localisé le site religieux. Depuis 1992, date des violences intercommunautaires qui avaient entrainé la destruction de la mosquée d’Ayodhya par les extrémistes hindous, une solide protection policière avait été mise en place par les autorités nationales. Ces mesures suffiront-elles à prévenir de nouvelles violences ? Rien n’est moins sûr. Rappelons les faits. Depuis un certain nombre d’années, la mosquée de Babri à Ayodhya, fondée il y a plusieurs siècles à l’époque de l’empire moghol, est l’objet de vives tensions entre musulmans et hindous. Au cœur des débats, le monument lui-même qui aurait été construit sur de nombreux vestiges témoignant d’une origine hindoue du site voué au culte de Rama. Jusqu’en 1992, de nombreuses tentatives de médiations et de négociations avaient été menées suscitant parmi les tenants de l’Hindouisme des espoirs de récupérer à leur profit le site sacré. Mais devant l’échec des pourparlers, les tendances extrémistes étaient finalement intervenues, conduisant à la destruction du site. Les autorités dès lors en charge du problème avaient porté le contentieux devant la justice. Après de longues années d’enquêtes, où il fut largement fait appel à l’archéologie, le jugement doit aujourd’hui être rendu. L’enjeu principal, au centre du conflit, est évidemment de nature géopolitique. Si preuve est faite –en particulier par l’archéologie- que le lieu sacré appartient à l’une des deux communautés, on peut aisément imaginer que l’emprise sur l’espace (réelle ou imaginaire) de la dite communauté se fera de manière « automatique ». Comment, forts d’un tel verdict, les bénéficiaires du jugement ne brandiraient-ils pas comme une preuve, ou du moins comme une garantie, leur « prééminence » sur le sol ? Géopolitiquement, ne seraient-ils pas amenés à penser qu’ils sont les plus « forts » du fait d’une inscription authentifiée comme la plus ancienne dans l’espace ? Espace qui, par là même, changerait légitiment de statut en devenant un véritable territoire, c'est-à-dire un espace occupé « traditionnellement » par leur communauté qui se le serait « héréditairement » approprié…

Mais au-delà de ces aspects intérieurs, le verdict d’Ayodhya risque d’avoir un écho à l’échelle du sous continent tout entier. Le Pakistan voisin, d’où les dernières incursions terroristes islamistes n’ont pas été sans laisser de traces dans l’opinion indienne, observera sans doute de son côté avec beaucoup d’attention le jugement prononcé. Si ce dernier n’est pas en faveur de la communauté musulmane, il n’est pas exclu que cela vienne s’ajouter au contentieux global qui met aux prises les deux pays.

L’Inde est donc suspendue au verdict de la Cour Suprême. Or dans ce verdict l’archéologie, qui intervient comme fondement scientifique pour étayer le jugement, devra finalement départager deux communautés en présence ayant chacune de profonds intérêts à dominer le territoire. C’est sans doute là le principal enseignement de l’affaire d’Ayodhya : elle confirme, s’il en était besoin, à quel point archéologie et géopolitique ont partie liée.

Jean-Pierre Payot. Le 30/09/2010
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Voir un entretien de Jean-Pierre Payot publié sur le site diploweb.com Voir

Voir un article postérieur sur la décision du tribunal Voir

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