11.7.11

France. Les éoliennes en mer : quel inventaire et quelle protection du patrimoine subaquatique ?

Un texte de Jacques Santrot, (Conservateur en chef du patrimoine, Conseiller scientifique patrimoine et musées) pour le Forum Nantes Patrimoines

Un projet ambitieux de production d’énergie renouvelable au large des côtes de Loire-Atlantique et de Vendée doit voir le jour sur un territoire sensible et peu exploré en matière d’archéologie subaquatique. Le Forum Nantes Patrimoines demande que ce projet soit saisi comme une opportunité pour avancer dans la connaissance de ce territoire.

Dans le cadre de sa politique de production d'énergie renouvelable, l'État envisage d'autoriser l'implantation de d'environ 1 300 éoliennes au large des côtes françaises, pour un coût estimé à 10 milliards d'euros. En l'état connu des projets, ce sont 170 à 230 machines qui devraient être installées au large des Pays de la Loire d'ici à 2015-2018, par des fonds de moins de 30 mètres :

. environ 80 éoliennes pour 400 MW sur le banc de Guérande (150 machines, à terme, pour 750 MW), à 12 km au large du Croisic (Loire-Atlantique), sur environ 87 km², devant l'estuaire de la Loire ;

. 96 à 120 éoliennes pour 600 MW sur la zone des Deux îles (80 km²), à 13,5 km de l'île d'Yeu et à 16 km au large de Noirmoutier (Vendée)

. et, peut-être, une douzaine d'éoliennes supplémentaires pour 70 MW, sur le plateau de la Banche, à 8 km du Croisic, presque dans l'axe de l'estuaire de la Loire.

Chaque mât sera porté par un socle de 3 000 tonnes de béton, et relié à une sous-station électrique sur structure métallique de 30 m de côté, et au continent par un important réseau de câbles électriques sous-marins.

Or, les accès naturels au continent que constituent les estuaires de la Loire et de la Vilaine sont des zones particulièrement sensibles au regard du patrimoine historique sous-marin : depuis la Préhistoire, elles ont vu se développer le cabotage, alternative maritime aux premiers échanges terrestres entre l'Ouest atlantique et le monde méditerranéen pour l'étain, métal stratégique, durant la Protohistoire et l'Antiquité, les relations côtières de l'Europe du Nord (dont les Vikings) à l'Afrique de l'Ouest. La région fut un lieu de passage privilégié du sel, de l'étain et du vin. Après les guerres médiévales bretonnes, l'estuaire de la Loire vit se développer les relations transocéaniques avec les Amériques, l'Afrique et l'Asie, et le développement du commerce triangulaire. Cette zone d'atterrissage de l'approvisionnement en matières premières stratégiques, fut aussi le théâtre de batailles navales majeures, depuis César contre les Vénètes, durant la Guerre des Gaules, jusqu'à la longue rivalité franco-anglo-espagnole, au Blocus continental et à la Seconde guerre mondiale. Or, à la différence de la Méditerranée qui bénéficie d'une longue tradition d'archéologie sous-marine, de moyens techniques et de conditions météorologiques plus favorables pour la cartographie et la fouille des épaves anciennes, les rivages de la Bretagne et des Pays de la Loire sont fort mal connus du point de vue d'un patrimoine archéologique sous-marin capital pour l'histoire de l'humanité.

Depuis l'ordonnance des Eaux et Forêts de Colbert, promulguée par Louis XIV en 1669, le patrimoine archéologique subaquatique de nos côtes relève de la propriété de l'État, mais l'histoire qu'il permettrait d'écrire appartient à toute l'humanité et les objets qui sont recueillis par les archéologues sous-marins sont confiés par l'État aux collectivités littorales et leurs musées assurent la conservation, la restauration et la mise en valeur de ce patrimoine commun. Or, la France n'a toujours pas ratifié la convention de l'Unesco sur la protection du patrimoine culturel subaquatique, en vigueur depuis le 2 janvier 2009 et appliquée par l'Espagne et l'Italie, notamment ; et l'État ne se prononce pas sur les mesures qu'il faut prendre pour sauvegarder les traces humaines qui risquent d'être dégradées ou détruites par l'installation de parcs éoliens au large de Saint-Nazaire.

Malgré le retard pris par la France dans le développement de l'industrie éolienne, les collectivités territoriales de l'Ouest considèrent désormais les énergies marines renouvelables (EMR) comme une carte maîtresse pour le développement de l'économie régionale. Elles représenteraient 3 à 4 milliards d'euros d'investissements possibles durant les dix prochaines années à proximité du port de Nantes Saint-Nazaire. La Région des Pays de la Loire a donc décidé d'appuyer à hauteur de 2,23 M€ l'initiative du cluster Néopolia, un consortium de 150 PME de la Basse-Loire rassemblant 12 000 salariés de la navale et de l'aéronautique, qui souhaite répondre par 'innovation aux appels d'offres qui seront lancés avant l'élection présidentielle, en s'appuyant notamment sur les compétences du chantier naval STX et de DCNS, "leader mondial du naval de défense et innovateur en énergie". Ce soutien se portera notamment sur leur projet commun Fondéol, étude de fondations métalliques innovantes pour éoliennes off shore, et Wattéol, nouveau type de sous-stations électriques off shore. Or, ces projets ne prennent pas en compte, non plus, la dimension patrimoniale majeure de l'estuaire de la Loire.

C'est pourquoi, compte-tenu de l'importance historique des sites envisagés sur le littoral de la Loire-Atlantique et de la Vendée, il paraît nécessaire de mettre en place une concertation entre l'État, les collectivités locales et les divers acteurs de ce projet industriel stratégique. Il est possible de mobiliser les moyens associatifs, militaires et civils spécialisés en prospection sous-marine, encadrés par l'État, avec des moyens obtenus des investisseurs en appliquant au domaine maritime le principe "aménageur-payeur" qui régit l'archéologie préventive à terre (Code du patrimoine, 2004). Il faut que ces grands travaux n'oublient pas leur dimension culturelle et ne viennent pas effacer les traces de notre histoire maritime mais, au contraire, contribuent à les valoriser.

Copyright Jacques Santrot - Forum Nantes Patrimoines, juillet 2011

Prendre contact

Jacques Santrot, Conservateur en chef du patrimoine, Conseiller scientifique patrimoine et musées, 2 bis avenue Louis Vuillemin, 44000 Nantes. 02 40 76 03 55. 06 84 95 28 23. jsantrot@cg44.fr

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