La Turquie, candidate à l'Union européenne
P. Verluise est chargé du cours de Géopolitique à l'ISIT. Dans le cadre de cette formation, les étudiants préparent des exposés. Voici le résumé d'une présentation récente sur un sujet d'actualité: la candidature de la Turquie à l'UE
La Turquie est une république au régime laïc qui fait figure d'exception dans le monde musulman. Elle est située à cheval entre l'Asie et l'Europe, baignée par les mers Noire, Egée et Méditerranée. Sa population s'élève à 70.7 millions d'habitants, et est en majorité musulmane. On y parle le turc et depuis 2002, le gouvernement élu est conservateur à tendance islamiste. La Turquie a déposé sa candidature à l'Union Européenne en 1987 mais n'a été reconnue « pays candidat » qu'en 1999 au conseil européen d'Helsinki. Si son adhésion était acceptée, elle y gagnerait une importance accrue sur la scène internationale, tant au niveau économique que diplomatique.
Quels sont les enjeux de la candidature turque à l'Union Européenne ?
I/ A l’échelle européenne
a) Niveau économique
70% des réserves de pétrole et de gaz sont localisés dans la région. On a récemment découvert, par exemple, les richesses énergétiques de la Mer Caspienne. Un projet a été retenu par les entreprises pétrolières occidentales et les Etats-Unis pour acheminer les ressources en Europe : l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (Azerbaïdjan-Georgie-Turquie), entré en service en 2005 et présentant une nouvelle route énergétique vers l’Ouest en évitant les ports de la Mer Noire et le passage des pétroliers par Istanbul et les détroits. En 2015, l’oléoduc Nabucco transportera du gaz depuis la Georgie jusqu’en Autriche en passant par la Turquie. La Turquie va intégrer la boucle « gazière » voulue par Bruxelles : avant la fin de l’année, des interconnections seront effectuées entre les réseaux grecs et turcs.
L’adhésion turque dans l’UE permettrait à cette dernière de développer des relations économiques avec les pays voisins de la Turquie, étant donné qu’elle a récupéré une place centrale dans la région avec la chute de l’Union Soviétique.
Mais le coût financier de la stabilisation économique de la zone est plus problématique : de 16.5 à 27.5 milliards d’euros en 2025, d’après la Commission européenne, soit entre 0.1% et 0.17% du PIB communautaire estimé. D’après Franz Fischler, le commissaire européen agricole, 11.3 milliards d’euros par an serait nécessaire uniquement pour l’agriculture, et 10 milliards d’euros par an pour les aides au développement (fonds structurels).
b) Niveau politique
Politiquement, la Turquie a réalisé une série de réformes telles que l’abolition de la peine de mort, le développement de la liberté d’expression et de religion, des droits économiques, sociaux et culturels, ainsi qu’une refonte du système pénal. Mais ses opposants, principalement l’Allemagne, la France et l’Autriche, disent que les obstacles sont trop nombreux et que la Turquie a trop de choses à faire avant d’atteindre les standards démocratiques de ses partenaires potentiels.
Cependant une autre dimension peut être ajoutée au problème : la remise en cause de l’identité culturelle de l’Europe par la candidature de la Turquie. Bien qu’elle fasse partie du Conseil de l’Europe (1949) et que le Traité de Rome (1957) définisse l’Europe comme une entité culturelle et démocratique plutôt que géographique, l’opposition estime que la Turquie est à peine européenne (comme l’a dit Nicolas Sarkozy), non seulement parce ce que la majorité du pays est géographiquement dans l’Asie, c’est à dire à l’Est du Bosphore, mais aussi à cause de ses racines culturelles et religieuses. D’autres, en faveur de la Turquie, font alors remarquer que historiquement, l’empire Ottoman s’étendait jusqu’en Autriche.
De plus, selon la clause démographique du Traité de Nice (2001), le poids politique d’un pays est fonction de son poids démographique. La Turquie hériterait donc de plus de pouvoir que les pays fondateurs de l’Europe, notamment l’Allemagne, qui compte aujourd’hui plus de 80 millions d’habitants.
c) Niveau stratégique
Les craintes principales se fondent sur la tension actuelle entre la population musulmane et la population occidentale, leur intégration et la menace terroriste, non seulement dans le Proche Orient mais surtout en Europe. Ces craintes ont été renforcées l’année dernière par l’assassinat du réalisateur hollandais Theo Van Gogh, à la suite de la publication des caricatures du prophète Mahomet.
Mais ce sont précisément ces tensions que souhaitent combattre plusieurs Etats européens (principalement, la Grande Bretagne...) en encourageant l’adhésion de la Turquie. Selon eux, celle-ci prouverait qu’un Etat musulman peut s’intégrer dans l’Occident et que la démocratie, et tout ce qu’elle suppose, est un système politique qui marche et qui encourage l’égalité et la prospérité. Tony Blair a affirmé que si la Turquie avait les mêmes notions en matière de droits de l’Homme que les européens, chrétiens et musulmans pourraient cohabiter pacifiquement.
De plus, à ce même niveau stratégique, son adhésion servirait à éloigner la Turquie de la Russie, de l’Iran et de la Syrie, et pourrait ainsi éviter une division politique et culturelle entre le Proche-Orient et l’Occident.
Cependant, il est important de préciser qu’en intégrant la Turquie en son sein, l’UE deviendrait frontalière avec des pays comme l’Arménie, l’Iran, l’Irak et la Syrie alors qu’il existe encore des conflits ouverts entre la Turquie et certains d’entre eux. Elle est, par exemple, en conflit avec l’Arménie et l’Irak concernant le Kurdistan.
II/ A l’échelle internationale, et plus particulièrement des Etats-Unis
a) Niveau économique
La Turquie est une alliée de longue date des Etats-Unis et malgré quelques frictions, leurs liens étroits ne se sont jamais réellement distendus.
Les Etats-Unis ont donc tout intérêt à voir la Turquie s’affermir sur les plans économique, militaire et politique. Or si la Turquie est membre de l’Union européenne elle touchera environ 20 milliards d’euro d’aides par an. Ainsi l’Union européenne financera une partie du développement de la Turquie, fidèle allié des Etats-Unis et contribuera à sécuriser les voies pétrolières de la région et les réserves de pétrole au profit des Etats-Unis.
b) Niveau politique
Hormis les intérêts économiques qu’elle présente, la validation de la candidature turque pourrait être utilisée par les Etats-Unis comme une nouvelle pomme de discorde en Europe. En effet la Turquie est qualifiée de « cheval de Troie » des Etats-Unis car son entrée dans un espace déjà déstabilisé par dix nouvelles adhésions pourrait contribuer à perturber l’organisation européenne et saper les fondements de son unité. Ainsi la construction d’un projet politique commun à tous les Etats membres serait de nouveau ralentie et l’Union européenne ferait un pas de plus vers la formation d’un gigantesque marché commun inoffensif sur le plan politique et stratégique.
Pour revenir sur le développement de la Turquie stimulé par son adhésion à l’Union européenne on peut ajouter que celui-ci bénéficierait aux Etats-Unis car par le biais de la puissance montante turque ils peuvent infiltrer la Transcaucasie et l’Asie centrale où de nombreux pays après la chute du bloc communiste se sont rapprochés de la Turquie. Ainsi la Russie est contrariée dans sa volonté de contrôle de la région.
La Turquie est donc instrumentalisée par les Etats-Unis afin d’asseoir leur hégémonie dans la région et d’empêcher la formation d’un pôle uni au Moyen-Orient ainsi que le développement de relations économiques entre cette région et l’Union européenne. C’est ainsi qu’elle est appelée « l’agent américain » par Pierre Biarnès.
c) Niveau stratégique
La Turquie, membre de l’OTAN depuis 1952, contribuerait une fois entrée dans l’Union européenne à accentuer la soumission de la défense européenne à cette organisation instrument de puissance des Etats-Unis.
Les Etats-Unis comme l’a montré Jules Mardirossian pourraient aussi renforcer leur présence militaire en Turquie et par là même se rapprocher de foyers terroristes qu’ils désirent surveiller.
Vient s’ajouter à cela un contrôle accru du golfe persique et de la mer Caspienne représentant 70% des réserves mondiales de pétrole. Les Etats-Unis barreraient ainsi la route au développement de la Chine, de l’Iran qui se veut un pôle structurant du Moyen-Orient et de la Russie.
L’adhésion de la Turquie dans l’Union européenne présente donc autant de contraintes que d’atouts. Effectivement, elle pourrait non seulement apporter beaucoup à l’Europe du fait de ses ressources et de sa culture, ainsi qu’aux Etats-Unis de part son instrumentalisation. Cependant, sa situation est délicate du fait de la montée du terrorisme, il s’agit alors d’évaluer dans quelles mesures la Turquie saura s’intégrer dans l’UE et s’y adapter tout en étant acceptée comme alliée plutôt que comme maillon faible.
CHABANNES Aurélie
DALLEE Lucie
HOWARD David (étudiant Erasmus)
MONTGOLFIER (de) Camille
Voir le site de l'ISIT http://www.isit.icp.fr/
Bibliographie :
- Le dossier consacré à la Turquie sur le site de France 2 (Dossiers Monde)
- Encyclopédie Wikipédia : Relations entre la Turquie et l’Union européenne
- Géopolitique de l'Europe : L'Union européenne élargie a-t-elle les moyens de la puissance ? de Pierre Verluise, Ellipses Marketing, 2005
- Site de Diploweb.com
- Site de Turquie Européenne.org
- Site de BBC News (http://news.bbc.co.uk) (English)
- CEPS Turkey in Europe Monitor Issue 10 October 2004 (English)
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